duo Lallement Marques
Trans - Pascale Criton (2014)
Regard du cygne - Paris
Duo Lallement Marques
Trans pour deux guitares explore les possibilités d’une scordatura en 1/12e de ton.
Dès les premiers instants, l’auditeur est plongé dans un monde sonore nouveau.
Cette disposition de l’accord se prête à d'infimes variations de timbre et de hauteur qui renouvellent l'écriture et la sensibilité de l'instrument. Pour cet instrument nouveau, notre duo a réinventé une technique, qui permet de faire entendre ces phénomènes acoustiques inouïs.
C’est la première fois qu’une telle recherche a été menée sur les qualités d‘accords en 1/12 de ton et leurs comportements acoustiques, à deux guitares.
Autres repères, autres gestes : Trans est le fruit d’un travail en étroite collaboration entre notre duo et Pascale Criton.
Biographie de la compositrice: http://www.pascalecriton.com/fr/biographie
iv 14 - Mark Andre (2015)
Intense fragilité
Elisa Constable
L’oxymore « intense fragilité » est l’expression qui semble le mieux caractériser la pièce iv 14, composée par Mark Andre en 2014. Entre ces deux termes se cristallisent aussi tous les enjeux compositionnels de son œuvre, si manifestes dans cette pièce, et qui sont en eux-même profondément tournés vers la recherche d’un ineffable artistique et spirituel.
Mark Andre, né en 1964, est un compositeur français de naissance et allemand d’adoption. Après des études au Conservatoire de Paris, notamment en composition auprès de Claude Ballif et Gérard Grisey, il continue de se former auprès de Helmut Lachenmann. À cette époque, il réalise aussi un DEA de musicologie, intitulé « Le compossible musical de l’Ars Subtilior », consacré aux subtilités de la composition durant la période médiévale ; subtilité qu’il fera sienne dans ses propres compositions.
L’intense fragilité de cette pièce naît des rapports entre la simplicité auditive perçue par nous, auditeurs, et la complexité technique que l’exécution de la partition représente pour les interprètes, guitaristes.
La complexité est omniprésente: dans l’écriture en duo (exigeant des musiciens une parfaite synchronisation, jusqu’à celle de leur respiration) ; dans les modes de jeu des guitares (qui sont accordées en huitièmes de tons et sur lesquelles les musiciens jouent avec une barre métallique, un archet, un bottleneck ou encore des cartes en plastique) ; dans le refus de tout mode de jeu classique; dans l’indétermination paradoxale du matériau musical ; dans l’écriture au seuil de l’audible et des dynamiques. Il s’agit ici d’une recherche idiomatique instrumentale que l’on trouvait déjà chez Helmut Lachenmann, où le compositeur va puiser ses modes d’écriture et de jeu dans l’essence même de l’objet instrument. Mais cette complexité – cette intensité – de composition est masquée par une surface auditive d’une telle transparence qu’elle en paraît fragile, évanescente.
La simplicité musicale perçue par l’auditeur est celle de la réduction du geste musical dans la composition, à la recherche de son essence, avec un intérêt tout particulier pour ce qui d’habitude ne devrait pas s’entendre, ou ce qui n’était pas prévu, vers la racine du sonore, avant sa disparition. Cette déconstruction du langage se veut aussi être une façon plus intime de composer, moins scolastique et plus corporelle, proche du souffle individuel de chacun. Soulignons que chez Mark Andre, compositeur nourri par le protestantisme, cette disparition est associée avec une certaine idée d’une ascension au paradis : avec le corps sonore, c’est le corps physique qui se dissout.
Une telle recherche compositionnelle ne pouvait être sans conséquence sur la dimension temporelle de l’œuvre. C’est ainsi que dans iv 14 le temps est presque toujours suspendu. Alternant des moments striés, dynamiques, puis des moments de résonance et d’écoute, la composition laisse place à ce qui est présent dans le silence. La réduction du geste musical se fait aussi par le temps dans lequel il se déroule, et la dilatation du temps à l’intérieur du geste l’immobilise presque, nous rappelant alors quelque vanité.
Intense fragilité
Salut für Caudwell - Helmut Lachenmann (1977)
Salut für Lachenmann
Jean-Marc Chouvel
La première fois que j’ai entendu Salut für Caudwell, c’était en Espagne. Helmut Lachenmann avait été invité par Cristóbal Halffter au deuxième cours d’été de Villafranca del Bierzo, qui réunissait en 1986 tous les jeunes compositeurs espagnols autour de leurs aînés, dans l’esprit de Darmstadt. C’est peu dire que la musique de Lachenmann nous fit à tous l’effet d’une sidération. La pièce, créée en 1977, n’avait pas encore dix ans, et Lachenmann nous en fit une analyse très minutieuse. Cette pièce, entendue dans un pays où la guitare n’est pas un instrument secondaire, explosait tous les critères de ce que l’on avait déjà pu faire avec l’instrument : on passait à un autre monde et cela apparut très clairement à chacun d’entre nous. Ce n’est que plus tard, avec la partition en main, et avec le texte traduit, que je pris pleinement conscience qu’il ne s’agissait pas seulement d’une révolution sonore, mais qu’il y avait aussi un message politique latent au cœur même de cette écriture.
Les paroles prononcées de façon presque déshumanisée par les deux musiciens ne sont pas pour rien dans l’intensité dramatique posée d’emblée dès les premières minutes de l’œuvre. Et on ressent immédiatement qu’il y a une tension permanente tout au long de la partition entre une métronomie de consonnes plosives et fricatives et l’évocation de sonorités enrichies vers l’aigu du spectre, les techniques de bottleneck venant imprimer cette part d’inflexion qui a été soustraite à l’intonation vocale, lointainement calée sur l’ombre d’une quelconque mélodie.
On sait à quel point la musique de Lachenmann est hantée, et particulièrement hantée par le ressouvenir de la mélodie comme archétype d’un monde ancien, mais surtout comme prise de pouvoir musical de la société sur la liberté artistique. De ce point de vue, Lachenmann se débat contre une tradition double : celle de l’académisme ordinaire de l’art bourgeois que dénonce le texte de Caudwell, mais aussi celle d’un antagonisme à cet art qu’il tient de son maître Luigi Nono, lui-même héritier par alliance, de par son mariage avec la fille d’Arnold Schönberg, de toute la tradition viennoise du sérialisme, en plus de la formation idéologique du parti communiste du nord de l’Italie. Ainsi traîne une mélodie fantomatique, juste avant l’énoncé du texte de Caudwell, un des rares moments de la partition à faire l’objet d’une notation descriptive, là où quasiment tout le reste relève d’une notation prescriptive, quasi « chorégraphique », mettant l’instrument en tension pour faire percevoir toute la force et la puissance des suraigus. On peut y entendre le même genre d’écho que celui que Schœnberg avait laissé traîner au deuxième violon, dans le deuxième mouvement de son quatuor numéro 2 opus 10. « Ach, du lieber Augustin, Alles ist hin! », « ah, cher Augustin, tout est perdu ! ». Ce témoignage populaire du rôle de la musique en temps de peste interroge la place du texte de Caudwell, qui se conclut en ouvrant la pièce sur un « alors nous dirons » qui donne à la musique la place du champ sémantique réel.
C’est peu dire que la musique de Lachenmann organise une mise en tension radicale de ses potentialités expressives. La répétition y est traîtée de manière tétanique, jusqu’à ce passage où culmine une synchronisation périlleuse, sur de grands accords très sèchement plaqués, et dont la distance temporelle évoque les performances des musiciens du théâtre nô. Ces répétitions, évoluant sur diverses échelles de temps, souvent superposées en polyrythmie, structurent le discours, jusqu’à la stabilisation finale, où les fricatives prennent le dessus sur les plosives, en évoquant de manière stylisée la friction des cadences andalouses reproduite dans la scordatura même des deux instruments.
Devenue par sa radicalité même un monument de la musique du vingtième siècle, Salut für Caudwell est un point de passage obligé du répertoire pour deux guitares. L’enregistrement qu’en donne ici le duo Lallement Marques est muri d’une longue fréquentation de la partition, informée à la fois auprès du compositeur et des interprètes de la création. Elle donne à entendre, dans toute sa violence, la beauté singulière d’une musique chargée de toutes les tensions sociales et esthétiques d’une époque dont nous avons encore du mal à appréhender l’héritage.
Mar sin fondo - José Manuel López López (2021)
Commande de Radio France pour l'émission "Création Mondiale"
Centre National de Création La Muse en Circuit - Alfortville
Duo Lallement Marques
écouter l'émission d'Anne Montaron, "Création Mondiale"
Mar sin fondo (2021) de José Manuel López López. Commande de Radio France pour l’émission Création Mondiale d’Anne Montaron. Création à La Muse en circuit, le 19 mai 2021.
« Avec cet hommage à Francisco IOVINO, j'ai voulu montrer l'intérêt que lui et moi avons toujours eu à nous plonger dans le son, et à partir de là, à construire le reste de l'œuvre. À cette occasion, la guitare a été le véhicule de ce voyage vers le "centre du son".
Les éléments que je considère intéressants à mentionner, car ils montrent ce désir d'approfondir et d'étudier le timbre, d'accéder aux ressources merveilleuses et inattendues des couleurs infinies de la guitare, sont, par exemple, l'utilisation de capodastres mobiles qui permettent des superpositions harmoniques inhabituelles, voire impossibles à réaliser sans eux. De même, l'utilisation de bottle neck qui, en frottant contre les frettes métalliques des deux guitares, produisent des textures percussives-granulaires inédites dans le répertoire de la guitare, rappelant le cri des cigognes, et qui nous placent dans un territoire bio-musical intéressant en raison du lien entre nature et musique. De même, la présence constante, à l'exception du premier mouvement, de textures particulaires avec des trajectoires, des densités et des rhizomes d'énergie qui nous relient au micro-monde de la physique quantique et à ses caractéristiques particulières, au sens de particules, qui sont totalement éloignées de l’idée traditionnelle du rythme, mais qui prolongent et complètent notablement les superpositions polyphoniques.
L'œuvre est dédiée au duo extraordinaire que forment Estelle Lallement et Filipe Marques »
José Manuel López López
Biographie du compositeur: http://www.josemanuel-lopezlopez.com/fr/biographie
Lidio - Manuel Contreras Vázquez (2020)
Commande du Festival Mixtur
Fabra i Coats - Barcelone
Duo Lallement Marques
"Lidio", comme le mode ecclésiastique de Fa à Fa, ou de Do à Do. "Lidio", comme le verbe "lidiar" (en espagnol) : lutter ou disputer avec quelqu'un ou quelque chose pour atteindre un objectif. Lidio est le deuxième prénom de Víctor Lidio Jara Martínez, auteur-compositeur et directeur de théâtre chilien populaire, militant de l'Unité populaire de Salvador Allende, compagnon de voyage de Luigi Nono lors de son périple parmi le peuple chilien à la fin des années 60 : ouvriers, étudiants, paysans. Le chanteur du bonheur du peuple assassiné par la dictature de Pinochet en 1973. Les trois significations du mot "Lidio" se rejoignent dans cette pièce pour générer une dramatisation sonore subtile qui résonne comme une antienne de Victor Jara. Un court requiem pour celui qui a affronté avec sa chanson, le visage le plus cruel de la tyrannie, et qui a incarné par son nom le souvenir d’un matériau sonore archaïque, essentiel, ancestral.
Manuel Contreras Vázquez
Biographie du compositeur: https://macontrerasv.com/biography-ii